Les débuts
Chez moi, le cheval c'est une histoire de famille. J'ai eu l'immense chance d'avoir mon shetland "Pompon" avant même de savoir marcher. J'ai commencé à monter avec mes parents puis rapidement, comme des milliers de cavaliers, j'ai été envoyée en centre équestre pour m'apprendre l'équitation académique.
Déterminée et ambitieuse, j'ai passé rapidement tous mes galops et la compétition de saut d'obstacle m'a ouvert ses portes dès mes 9ans. A 12ans, j'ai eu le plus beau cadeau de Noël qu'on aurait pu me faire, celle qui fera encore partie de ma vie 15ans plus tard ; Fanny de Montescot.
Avec cette petite demi-sang arabe de 13ans, nous avons eu des moments incroyables de joie. Les seules rares fois où je ne raflais pas la coupe, j'étais carrément éliminée. C'était les montagnes russes mais notre relation tumultueuse nous a quand même menée dans les 10 premiers (sur 145 cavaliers) aux championnats de France de CSO en 2007. Une vraie fierté, un souvenir incroyable.
Fini les clubs.
Même si j'aimais beaucoup la compétition, le saut etc, je ne me retrouvais plus du tout dans ces ambiances très fermées et élitistes des clubs et de ce milieu sportif. Alors, après avoir fait un paquet de centres équestres des Bouches-du-Rhône, j'ai décidé d'arrêter de monter en club et me consacrer à mes chevaux, chez moi et à profiter pour balader dans ce merveilleux cadre des Alpilles que j'avais juste à portée de sabot.
J'ai eu différents chevaux dont je me suis occupée, dont je me suis séparée. De belles relations qui m'ont toutes apprise énormément mais il me manquait quelque chose et je ne savais pas tellement quoi. Jusqu'à ce moment qui a changé ma vie équestre...
Le voyage qui a tout changé.
A 21ans, alors que je venais d'obtenir ma licence en cinéma, j'ai décidé de partir faire le tour du monde pendant quelques années en tant que volontaire chez des particuliers pour aller voir ce qui se fait ailleurs et surtout en matière d'équitation. Terriblement lassée de ce que je voyais en France, je trépignais d'impatience de connaître les pratiques au delà de nos frontières.
Et pour moi, le pays qui avait le plus de sens dans ma quête de découverte était la Mongolie ; Berceau des Premiers chevaux, le cheval de Przewalski.
J'ai donc atterri au Nord du pays, dans une contrée relativement perdue dans un désert de steppes où se trouvait une petite ferme. Les locaux avaient des vaches, des chèvres mais surtout beaucoup de chevaux. J'ai été assignée au dressage des chevaux et à l'aide au débourrage.
Ravie de pouvoir découvrir ces nouvelles techniques ancestrales que je ne connaissais pas du tout, j'ai assisté à une démonstration.
HORREUR.
Les deux "dresseurs" mongoles ont pris un petit cheval (qu'on appellerait poney chez nous) d'1m35 environ sûrement trop jeune pour être débourré et tout juste enlevé à sa steppe natale mais qu'importe, il était tout frêle, alezan crins lavés. Je me souviendrais toujours de lui et de la détresse dans son regard quand j'ai assisté à cette scène aussi inhumaine que normale semblerait-il dans ce pays.
Du sang coulant par la bouche et les naseaux mêlé à des litres de transpiration puis de l'autre côté, deux hommes avec un grand sourire qui s'étonneront toujours qu'un petit être comme ça arrive si bien à se débattre.
Sidérée par la scène, mon premier reflex était de filmer. Je devais garder des images de ça comme un miroir qui nous rappellerait à quel point nous sommes capables de cruauté. Mais ce qui me choquait le plus finalement, c'était le discours derrière tout cela. - "Cela fait 800ans que nous dressons les chevaux de cette manière." ou encore -"Nous aimons les chevaux comme nos dieux."
Alors c'était ça l'amour ?
J'ai très peu filmé car la scène devenait tellement insoutenable que j'ai dû intervenir. Le cheval se débattait tellement qu'ils l'ont attaché si court autour d'un poteau qu'il a fini par se pendre, une corde coulissante ultra serrée au niveau de sa gorge. J'ai alors couru dans la cuisine chercher un couteau. Le temps était compté. Ce petit cheval allait mourir si l'on ne coupait pas la corde.
La corde coupée, le petit être s'est étalé par terre de tout son poids et crachait énormément de sang par les naseaux, les yeux révulsés, chaque respiration est un déchirement. Il allait mourir, c'était une question de minutes.
La renaissance.
A ce moment, j'étais à côté de lui, je regardais son cœur battre faiblement, ses yeux me fixant comme pour me demander "Pourquoi vous faites ça ?". Mais en réalité, j'avais encore un peu d'espoir. Ce petit cheval était un guerrier. C'est alors que quelques minutes après sa chute, il s'est relevé avec le peu d'énergie qu'il lui restait et tentait de reprendre ses esprits. Comme une renaissance, la sienne mais surtout la mienne.
Les deux hommes le voyant se relever, étaient prêts à bondir pour lui mettre cette foutu selle sur le dos quoi qu'il en coûte. Il est affaibli ? Tant mieux, ce sera plus facile !
Il était hors de question pour moi à ce moment de laisser faire ça une deuxième fois. Je leur hurlais d'arrêter, je commenças à les insulter. Je leur barrais la route pour qu'ils n'approchent plus à un centimètre de ce poney qui venait tout juste d'échapper à la mort.
Un débat très animé pour ne pas dire violent s'engagea avec les propriétaires de la ferme qui ne comprenaient absolument pas que je m'offusque (moi et tous les volontaires sur place d'ailleurs) de leur méthode de débourrage. -"Ce n'est pas une petite européenne qui va débarquer pour nous apprendre comment faire avec nos chevaux !" m'a-t-elle dit. Honnêtement, à cette époque, je n'y connaissais pas grand chose en débourrage, en jeunes chevaux mais qu'importe, je ne pouvais pas laisser ces brutes s'occuper de ce cheval.
Ils me proposèrent alors un deal. J'avais 10 jours pour leur prouver que je pouvais débourrer un cheval d'une autre manière que celle-ci. Au bout des 10jours, il devait donc être bridé, sellé. Un vrai challenge pour moi mais je décidais de le relever pour Rambo. Oui, c'est ce que sa combativité m'a évoquée pour lui choisir un nom.
Le challenge
Au début, c'était une vraie galère. Rambo était toujours blessé et avait toujours son filet de la mort sur la tête. Ma première mission avant toute chose était de réussir à l'approcher pour ne serait-ce que lui enlever ce filet de merde. Sauf que j'ai mis déjà 3 jours pour le toucher. Ne sachant pas tellement comment m'y prendre, j'avançais à tâtons. Je faisais sûrement des erreurs mais je parvenais à mes fins dans la douceur la plus extrême. Le traumatisme qu'il venait de subir était si frais. Comment pouvait-il me faire confiance ?!
Mais grâce à beaucoup de patience, d'empathie, de calme et d'amour, on progresse. Je parvins finalement à lui retirer son filet. Il avait tout le loisir de me fuir ou de venir, à moi de le convaincre que j'étais différente de ces deux hommes. Je m'étonnais de voir à quel point sa bonté d'âme et son innocence lui faisaient accepter ma présence si rapidement. Je passais tellement de temps avec lui, qu'il s'approchait de moi de temps à autre. Je m'enthousiasmais de chaque signe de sa part qui allait dans le sens de la réconciliation avec l'être humain. Parfois, j'en pleurais, parfois je criais de joie. Je prenais même mes copains volontaires à témoins histoire de confirmer que je ne rêvais pas. Ce petit Rambo me comblait de fierté et bonheur.
10 jours, ça passe vite et je devais relever mon défi malgré tout. J'avançais donc dans le travail et petit à petit, je développais sans trop m'en rendre compte des concepts d'éducation éthologique sur lesquels je ne savais mettre de nom à l'époque. On mit le filet, puis la selle. On faisait des balades en main. Tout se passait incroyablement bien et dans la coopération la plus pure. Je lui montais dessus fugacement mais étant bien trop petit et trop frêle je descendais aussitôt. Aller plus loin dans le débourrage n'avait aucun sens pour moi.
Pour moi le défi était terminé et j'étais incroyablement fière de nous.
Mais pas eux. Pas les fermiers. Voyant que j'arrivais à relever mon défi sans tuer ce poney, leur fierté en prit un sacré coup et ils ne semblaient pas le supporter.
Au bout de ces 10 jours, au terme de mon défi, ces deux personnes ayant si mal digéré le fait de devoir ravaler leur égo, ont décidé de me mettre à la porte de la ferme un soir à 22h alors que le premier village était à 40km d'ici. Scandalisée par cette décision, la majorité des volontaires de la ferme (une dizaine) décida de partir avec moi et mon amie. Cet élan de solidarité me fit vraiment chaud au cœur. Cependant, devoir laisser Rambo aux mains de ces personnes qui allaient sûrement encore lui faire du mal, était une chose insupportable pour moi.
Mais malheureusement, ce n'était plus mon histoire. J'aurais rêvé le ramener avec moi, dans ma valise mais j'ai dû me résoudre à le laisser là-bas.
Conclusion
Cette histoire a été une véritable prise de conscience pour moi et ma manière de considérer les chevaux. La morale de tout ça n'est pas "Les mongoles sont des barbares avec leur chevaux". Loin de là, même si leurs méthodes sont archaïques et violentes, ce n'est pas ça qu'il faut retenir. La violence est partout, dans tous les pays et dans toutes les disciplines et elle découle surtout de l'ignorance et celle-ci n'a pas de nationalité. C'est à partir de ce moment-là que j'ai commencé à me dire qu'il y avait énormément de choses à changer y compris dans nos manières de faire.
J'ai alors commencé à m'intéresser aux Horsemen, à ceux qui n'utilisent pas seulement les chevaux pour leur petit plaisir mais qui essayent de les comprendre vraiment, de parler cheval. C'est pourquoi quelques mois plus tard je suis partie en Australie chez des Horsemen pour m'initier à une autre vision de l'équitation, de la relation. Une grande leçon de vie qui m'a remise à ma place et qui m'a apprise finalement que je ne savais rien.
De là, a découlé mon apprentissage et je vous laisse découvrir le fruit de cet apprentissage ici :